Ce colloque sur les arts visuels, le web et la fiction a pour ambition d’interroger les oeuvres artistiques appartenant aux arts visuels mais également celles réalisées sur l’internet dans leurs rapports à la fiction.
Les arts visuels
Si la littérature et le cinéma ont nourri une réflexion approfondie sur la fiction, d’autres domaines liés aux arts visuels sont largement restés inexplorés. Ainsi l’exposition peut recourir aux fictions canoniques (vidéo, cinéma, dispositifs textuels), mais aussi à l’image fixe, l’installation ou la performance. Quelle est l’importance respective de chacun de ces éléments en rapport avec la fiction ? Que produisent leurs éventuelles cohabitations ? Quelle est la place dévolue au « scénario », celle relative au concepteur ou au visiteur de l’exposition ?
Deux lieux communs informent massivement l’art contemporain dans son rapport à la fiction. Le premier consiste à qualifier l’oeuvre d’art comme suspendue entre réalité et fiction. Le second justifie cette indétermination comme une conséquence de la spectacularisation du monde, l’indistinction entre le vécu et sa représentation. Que recouvrent ces lieux communs ? Quelles sont les limites du tout fictionnel ?
Dans quelle mesure l’élaboration et le vécu collectif des oeuvres sont-ils contradictoires ou constitutifs d’une fiction ? Ludiques, politiques, les oeuvres collectives peuvent impliquer un assujettissement fort différent au monde. L’univers du jeu est susceptible d’engager un rapport direct à la fiction. L’interrogation d’un univers social peut procéder d’une utopie, d’une « micro – utopie » ou d’une action directe sur le monde.
Le web
Les travaux artistiques réalisés sur l’internet modifient-ils notre appréhension de la fiction ? Le brouillage des différences entre auteur et utilisateur, original et duplication ne demandent-ils pas de reconsidérer notre approche de la fiction ? L’autonomie toujours croissante du web, son auto-référentialité, permettent-ils toujours de distinguer entre domaines factuels et fictionnels ? Les distinctions entre réalité et vérité, falsification et fiction qui ont permis de construire diverses approches de la fiction semblent confondues dans les discours qui tentent d’approcher l’univers de l’internet.
Dans quelle mesure l’élaboration et le vécu collectif des oeuvres sont-ils contradictoires ou au contraire constitutifs d’une fiction ? Cette question évoquée à propos de l’art contemporain retrouve dans l’univers du web une résonance particulièrement vive. Il suffit d’évoquer l’importance du jeu en ligne, créateur « d’univers persistants », le recyclage et l’appropriation de fictions traditionnelles, la multiplication des identités fictives pour entrevoir la complexité que peut revêtir la fiction lorsqu’elle est partagée en réseaux.
Trois registres de questions pourront être envisagés : 1) le rapport réalité / fiction sur internet, 2) les nouvelles formes artistiques développées sur le web et leurs rapports à la fiction, 3) la création de fiction sur internet et le rapport à l’hypertexte.
La question des représentations
La question des représentations est au coeur des arts visuels et de la fiction. De par sa puissance métaphorique, le mot se prête à de très nombreuses définitions selon les contextes où il est utilisé. Si la relation de correspondance, de renvoi ou de substitution sont communes aux représentations factuelles et fictionnelles, quelles sont alors les particularités de ces dernières ? Si l’absence de référence ou dedénotation dans notre monde ordinaire ne nous aide guère à caractériser la fiction, comment appréhender les aspects positifs et créatifs de celle-ci ? Comment, en dépit de l’inexistence de toute dénotation, l’objet fictionnel est-il malgré tout apte à modifier l’univers de croyance de celui ou celle à qui il est destiné ? Et puisque ce qui est conçu à un moment comme vérité peut devenir ultérieurement simple croyance ou affabulation comme dans le mythe, ne faut-il pas alors considérer avant toute chose l’usage et le niveau de croyance comme ce qui vient fonder un objet comme fictionnel ?
Dans leurs situations aux marges des fictions canoniques, les fictions artistiques et visuelles viennent nous interroger sur le statut de la croyance et l’importance des niveaux de représentations dans la génération des univers fictionnels. Filmer une troisième fois l’attaque d’une banque sous la directive de son auteur et braqueur (Pierre Huyghe) ; réaliser comme artiste les actions de l’héroïne d’un livre qu’un écrivain avait pris préalablement pour modèle chez cette même artiste (Sophie Calle) ; juxtaposer plusieurs films et autant de trajets vers un même événement (Melik Ohanian) ; Parodier le site de l’Organisation Mondial du Commerce (The Yes Men), construire un espace réel en trois dimensions en miroir de celui du spectateur (Leandro Erlich) ; ou plus simplement figurer la sieste du peintre (Jean Le Gac), (etc…), n’est-ce pas de façon à chaque fois différente, nous mettre dans et devant le passage d’un monde à un autre ? Et gommer un peu à chaque fois la priorité de notre monde ordinaire en l’ouvrant vers une pluralité de mondes possibles ?